Le média des décideurs du e-commerce

L'accord formel entre Google et Facebook pour se diviser le marché de la publicité numérique

Julien Fontaine

Le thème commun tout au long des procès #antitrust de Google aux Etats-Unis et en Europe est celui de conflits d'intérêts graves, le géant de Montainview agissant comme acheteur, vendeur et intermédiaire (ce qui serait inimaginable dans les échanges financiers), avec des effets anti-concurrentiels sur toute la chaîne de valeur de la technologie publicitaire au détriment des spécialistes du marketing, des éditeurs, des fournisseurs de technologie publicitaire et, en fin de compte, des consommateurs.

Ce mercredi 16 décembre 2020, le Texas et neuf autres États américains ont déposé une plainte devant un tribunal du Texas concernant la conduite de Google dans le domaine de la technologie publicitaire. Selon eux, Google et Facebook, les acteurs n°1 et n°2 de la publicité en ligne, ont conclu un pacte illégal secret en 2018 pour se diviser le marché des publicités sur les sites Web et les applications mobiles

La plainte explique notamment que face à la menace de Facebook qui pouvait éroder le monopole de Google dans la technologie publicitaire et son emprise de fer sur le marché de la publicité numérique, un accord formel a été conclu entre les deux géants selon lequel Facebook réduirait considérablement ses initiatives et, en échange, Google accorderait à Facebook une série d'avantages sur ses enchères, y compris pécuniers.

Il s'agit d'allégations très graves, qui reposent sur des preuves écrites, et qui cherchent à montrer comment Google a utilisé chaque opportunité pour fausser la concurrence et agir contre les intérêts de ses clients, que ce soit par le biais d'un comportement unilatéral ou même d'accords illégaux avec des concurrents.

La plainte explique que face à la menace de Facebook soutenant les enchères d'en-tête (Header Bidding), Google a tenté d'amener Facebook à la table des négociations. Le résultat a été un accord formel entre les deux géants de la technologie surnommé «Jedi Blue», selon le Wall Street Journal.

En bref, ce système monétise les espaces publicitaires présents sur un site d'enchères et le fournit au plus offrant pendant la fraction de seconde qu’il faut à la page pour se charger. "En 2016, cet outil était utilisé par 70% des éditeurs majeurs, faisant craindre à Google qu’un concurrent, et particulièrement Facebook, n’embrasse un système similaire. C’est ce qu’il s’est passé en 2017… Poussant Google à se rapprocher de la firme de Mark Zuckerberg pour s’entendre avec elle et garder son pouvoir dans le domaine de la publicité." écrit Mathilde Rochefort dans Siècle Digital.

«Il faut lutter contre la menace existentielle posée par les enchères d'en-tête et Facebook Audience Network», a écrit un responsable de la publicité de Google dans un e-mail de 2017 référencé dans la poursuite.

Eléments principaux du contrat rapportés par le Wall Street Journal:

  • Les frais de transaction que devait Facebook à Google étaient de 5 à 10% alors que les régulateurs assurent qu’ils tournent autour des 20% pour les autres annonceurs.
  • Google aide Facebook à reconnaître les utilisateurs sur smartphones et sur desktop.
  • Google montre les publicités Facebook à 90% des utilisateurs reconnus.
  • Facebook dispose d’un délai de 300 milli-secondes pour reconnaître l’utilisateur et enchérir, tandis que d’autres participants ont un délai plus court de 160 milli-secondes.
  • Facebook s’est engagé à dépenser 500 millions de dollars par an à partir de la quatrième année.

Bien entendu, le deal est avantageux pour les deux partis. Alors qu’habituellement, les annonceurs doivent passer par un échange pour l’emporter et avoir accès aux serveurs publicitaires de Google, Facebook peut directement y arriver en sautant cette étape, lui permettant de dépenser moins d’argent que ses concurrents tout en gagnant du temps. En outre, Google indique à Facebook quelles opportunités publicitaires sont proposées par des bots, alors que cette information est refusée aux rivaux du réseau social, lui offrant un grand avantage par rapport à ces derniers.

Pire encore, le contrat nous apprend que Google participe aux enchères qu’elle organise. Afin de se protéger, la firme de Mountain View a ainsi promis à Facebook qu’elle n’exploiterait pas son historique des enchères pour influencer leur prix.

Google a offert à Facebook des avantages d'information, des avantages de vitesse et d'autres priorités, au détriment des autres participants aux enchères. L'accord a attribué une partie des gains des éditeurs aux enchères à Facebook, ce qui a subverti le libre fonctionnement de l'offre et de la demande», ont déclaré les États plaignants.

Jason Kint, CEO de Digital Content Next, une association professionnelle des entreprises de médias numériques (Disney, NY Times, Condé Nast, Slate...) a qualifié les détails de l'accord Google-Facebook de "dérangeants" et a déclaré que les deux sociétés "volaient essentiellement l'argent des éditeurs."

Je ne peux pas imaginer combien d'emplois de journalistes ont été pris par cette conduite présumée", Jason Kint, CEO de Digital Content Next

Selon le rapport, l’accord comprenait également l’engagement des deux sociétés de «coopérer et s’entraider» si l’accord faisait l’objet d’un examen attentif des autorités. Ni Facebook ni Google n'ont immédiatement répondu à la presse. Mais un porte-parole de Google a déclaré aux médias que l'accord avait été mal interprété: «L'idée qu'il s'agissait d'un accord secret est tout simplement erronée», a déclaré la personne à un journaliste. «Nous parlons publiquement de ce partenariat depuis des années

Google a répondu qu'il n'avait manipulé aucune enchère et que 25 autres entreprises participaient à son programme de publicité sur enchères ouvertes. "Il n'y a rien d'exclusif à Facebook, et ils ne reçoivent pas de données qui ne sont pas également mises à la disposition d'autres acheteurs", a déclaré Google à WWD.

Le Département de la Justice américain devrait s’intéresser à «Jedi Blue» dans le cadre d'une autre plainte majeure dans une action antitrust distincte que le ministère de la Justice a déposée contre la société pour abus de position dominante en octobre: ​​Google s'est associé à Apple s'assurer la domination de son moteur de recherche.

Par ailleurs, cette affaire sera beaucoup moins complexe que d’autres cas antitrust, car la manipulation d’enchères est illégale. La seule défense que Google puisse avoir est d’infirmer les accusations devant le tribunal.

Si prouvé, ils pourraient très bien établir l'existence d'un cartel entre Google et Facebook, une infraction à l'article 1 de la loi Sherman, et conduire des individus derrière les barreaux», Damien Geradin de Geradin Partners.

Dans l'ensemble, il s'agit d'un procès particulièrement important et Google semble être dans une situation difficile. Pendant ce temps, ses pratiques en matière de technologie publicitaire continuent d'attirer l'attention des régulateurs dans le monde entier. Il ne serait pas surprenant que les allégations de collusion dans le procès au Texas conduisent à de nouvelles procédures anti-trust dans d'autres pays et à des actions en dommages-intérêts.

Le procès demande entre autres un redressement structurel, c'est-à-dire une rupture de l'activité ad tech de Google. Compte tenu du fait que la suite de technologies publicitaires de Google regorge de conflits d'intérêts, c'est probablement le seul moyen de rétablir une concurrence efficace dans le domaine des technologies publicitaires», selon Damien Geradin.
Share Linkedin/ Twitter/ Facebook/ copy link
Votre lien à expiré
Votre compte est activé! Vérifiez votre email (et peut-être vos spams) pour vous connecter.