Si vous croyez au e-commerce, vous croyez en Prologis, le premier bailleur d'espace industriel d'Amazon. Alors que les achats sur Internet ont dévasté la demande d'espaces commerciaux traditionnels depuis de nombreuses années, ils ont eu l'effet inverse sur l'immobilier industriel. Le Covid aura drastiquement accéléré la mutation.
Juste avant la pandémie, environ 20% de la surface d'entrepôt de Prologis était destinée au e-commerce et le reste à d’autres formes de logistique. Sa part atteignait 40% cet été selon Hamid Moghadam, le fondateur et CEO de Prologis, et la demande continue de croître. Elle n'était que de 10% en 2017.
Des sociétés telles qu'Amazon et Walmart ont un appétit presque insatiable pour plus d'espace. Nous ne voyons pas ces gars ralentir, ils continuent à être très actifs. Les forts continuent de prendre beaucoup de place». H. Moghadam à Bloomberg .
Selon la société, Prologis (NYSE: PLD) sert 5500 clients dans 19 pays avec un actif total sous gestion de 145 milliards de dollars en 2020. La valeur économique des marchandises qui transitent par ses centres de distribution chaque année est d'environ 2,2 trillions de dollars, ce qui représente 3,5% du PIB des 19 pays où elle est présente. L'impact de Prologis sur l'emploi est d'environ 2,8 millions d'emplois dans le monde.
Qui est Prologis?
Prologis est le plus grand propriétaire d'immobilier industriel au monde et le roi du #dernier kilomètre. Ce sont ces routes locales qui intéressent son fondateur, entre l'entrepôt et le seuil de la porte du client. Aux États-Unis, 60% de la population vit à moins de 100 miles des 379 millions de pieds carrés intérieurs de Prologis. 70% de la surface d'entreposage de Prologis se trouve à l'extérieur des Etats-Unis, dans des endroits où le e-commerce se développe à un rythme plus rapide (Forbes, nov. 2017).
La première tâche est de décider à quelle extrémité de la chaîne d’approvisionnement il faut se placer, les consommateurs ne bougent pas, les usines oui». H. Moghadam.
Moghadam a donc installé ses entrepôts au plus proche des marchés de consommation de masse dans le monde entier plutôt qu’à proximité des producteurs car "posséder un entrepôt dans l'Iowa au milieu des champs de maïs pour économiser 2 cents de loyer n'est pas l'objectif. Mais posséder des actifs dans les grandes régions métropolitaines où se trouvent les grands ports de transport et où vivent les clients est vraiment essentiel. C'est pourquoi nous sommes si concentrés sur la vitesse de l'entreprise et les grands marchés», disait Moghadam au San Francisco Business Times en 1999.
Moghadam prévoyait que, malgré la croissance économique de la fin des années 90, l'activité de stockage de base diminuerait face à la demande des marchands en ligne. Il présageait déjà qu'Internet allait modifier les ventes d'un mode grossiste-détaillant-client à des ventes directes du grossiste au client. Ce qu'il espérait faire, c'était saisir ce changement fondamental de méthode d'entreposage.
Nous nous concentrons sur les marchés où il y a un grand nombre de personnes et où il y a beaucoup d'argent dans leurs poches. Vous cambriolez une banque, parce que c'est là que se trouve l'argent. Où avez-vous de la consommation? Où sont les gens?» H. Moghadam à Forbes.
Qui est Hamid Moghadam?
Né dans une famille de la haute société iranienne, Moghadam est le plus jeune de trois enfants et le fils unique. Il a grandi à Téhéran, où son père dirigeait avec succès une entreprise de construction qui s'est développée dans la banque, le forage pétrolier et d'autres activités connexes.
Adolescent, il a fréquenté une académie britannique dans les Alpes suisses, où il a perfectionné son anglais et a obtenu son diplôme à 16 ans. Étudiant doué, à 22 ans, il avait obtenu à la fois une maîtrise en ingénierie du Massachusetts Institute of Technology et un MBA de Stanford.
Le jeune Moghadam s'attendait à suivre son père dans l'entreprise familiale, mais les événements politiques ont dicté le contraire. Lorsque le shah a été renversé en 1979, tous les biens de sa famille ont été saisis par le nouveau gouvernement. Mais le conflit dans son pays natal lui a également créé des problèmes aux États-Unis. Malgré ses références académiques étincelantes, Moghadam a obtenu son diplôme en 1982, lorsque les sentiments anti-iraniens étaient à leur apogée pendant la crise des otages en Iran. «En fait, j'ai eu plus de refus que d'entretiens», en rit maintenant Moghadam.
AMB Property Corporation
John McMahan, son enseignant à Stanford l'a embauché pour faire un travail de conseiller en immobilier, et deux ans plus tard, avec Abbey, copain de Moghadam depuis la Stanford Business School, ont lancé leur propre société d'immobilier logistique, qui est devenue AMB Property Corporation en 1984.
La formation d'ingénieur de Moghadam lui a bien servi. Ceux qui le connaissent disent que sa perspicacité avec les chiffres lui permet de visualiser des relations complexes. Il adopte également une vision impartiale du monde qui l'aide à cerner les tendances et possède une vision large qui ne se concentre pas uniquement sur la prochaine transaction. Et s'il sollicite l'avis de ses principaux managers, il n'a pas peur de prendre des décisions difficiles. Comme le dit Blake Baird, Chief Investment Officer d'AMB, «ce n'est pas une démocratie».
Un bon homme d'affaires est celui qui remet toujours en question toutes les hypothèses et change de cap en conséquence. Nous pouvons changer beaucoup d'autres choses parce que nous ne sommes attachés à rien pour toujours», disait Moghadam au San Francisco Business Times, 1999
Il amènera AMB à son introduction en Bourse en 1997 et continue de diriger la société depuis son rapprochement avec ProLogis en 1998, qui allait alors donner naissance au plus grand fonds d’investissement américain dans la gestion d’entrepôts et de bâtiments logistiques.
Homme de vision
En 1998, Moghadam a fait un pari stratégique majeur qu'il allait perdre. Sentant une opportunité dans la vente en ligne, AMB a vendu son portefeuille de centres commerciaux et acheté à la place des millions de mètres carrés d’espace d’entreposage proche des tarmacs des aéroports américains. Moghadam souhaitait se concentrer sur le type de centres d'entreposage et de distribution recherchés par les entreprises de e-commerce: des centres robotisés capables de gérer un chiffre d'affaires élevé à grande vitesse.
En 1997, environ 15% du portefeuille d'AMB se composait de centres commerciaux. En 1999, ils n'était plus que de 5%. Pour Moghadam, la décision d'abandonner ses participations dans l'espace du retail découlait de l'évolution des conditions du marché et du rôle disruptif d'Internet: «nous pensons que le secteur industriel offre de meilleures opportunités pour un meilleur rendement du capital. Nous n'avons pas non plus réussi à développer notre activité de vente au détail de manière significative parce que nous n'étions tout simplement pas prêts à payer le même prix que d'autres pour faire croître cette entreprise. Mais nous possédons toujours des propriétés qui se trouvent dans les canaux de distribution. Nous ne sommes tout simplement pas propriétaires du commerce de détail, car il existe d'autres modèles qui sont plus importants aujourd'hui et ont un meilleur potentiel de croissance que le retail, principalement les modèles direct-to-consumer. Nous avons défini tôt une marque de niche et nous déployons nos actifs pour devenir fondamentalement plus dominant dans ce créneau» avait-il déclaré au San Francisco Business Times en 1999.
La stratégie actuelle de Prologis remonte d'une manière ou d'une autre à 1998, lorsque Moghadam a rencontré l'entrepreneur Louis Borders de Borders Group, qui levait $1,2 milliard pour l'épicerie en ligne Webvan, future tête d'affiche de la bulle Dotcom. L'entrepreneur iranien y avait investi $5 millions en participations, construit trois entrepôts et cédé un portefeuille de baux commerciaux de $1 milliard pour investir dans de l'espace industriel.
Webvan voulait:
- être plus pratique que les épiceries traditionnelles,
- proposer une plus grande variété de produits,
- avoir de meilleurs prix (5% moins cher),
- offrir la livraison gratuite dans une fenêtre de 30 minutes.
Webvan a pris ses premières commandes en juin 1999, puis a fermé ses portes en juin 2001. La direction a brûlé plus d'un milliard de dollars en seulement deux ans. Pour survivre, l'entreprise avait besoin d'une commande moyenne de $103. Fin 2000, elle était de $81. À son apogée, les dépenses quotidiennes de l’entreprise s'élevaient à $1,8 million alors que les ventes n'atteignaient que $489K par jour.
Au moment de sa fermeture, Webvan livrait des produits d'épicerie à Chicago; Los Angeles; Orange County; Portland; San Diego; San Francisco et Seattle. L'entreprise avait espéré s'étendre à 26 villes d'ici 2001.
Webvan pourrait bien avoir 10 ou 20 ans d'avance sur son temps. Et, comme de nombreuses entreprises nées à l'époque folle du boom de la dot-com, elle a essayé de devenir trop grande, trop vite», Ken Cassar,à WIRED en 2001.
Webvan a voulu faire en 1998 ce que Walmart et Amazon peinent à faire en 2020 aux États-Unis. Moghadam y avait laissé, entre autres, $1 milliard d'actifs commerciaux. Mais plus exaspérant encore, il avait alors refusé l’opportunité d’investir dans une autre start-up de e-commerce appelée Amazon, estimant que son activité était trop limitée aux livres. Mais certains peuvent gagner même en perdant: le pari de Moghadam constituait l'épine dorsale du portefeuille actuel de Prologis.
Nous nous sommes trompés d’entreprise, mais nous avions bien compris la tendance. Webvan nous a ouvert très tôt les yeux sur la possibilité du commerce électronique», explique Moghadam.
L'ironie de tout cela, c'est que c'est Jeff Bezos qui a su profiter du gâchis Webvan en tirant une leçon de l'échec au bénéfice d'Amazon Fresh. Amazon a acquis la technologie en 2012, KIVA Robotics, pour $775 millions, qui avait développé la robotique des entrepôts Webvan. Bezos n'a pas non plus hésité à embaucher des cadres responsables de la stratégie ratée de Webvan.
Cerise sur le gâteau, Webvan est longtemps resté actif jusqu'à il y a peu, faisant officiellement partie de la famille Amazon.
Prologis, plus grand bailleur de bâtiments logistiques
En 2011, alors que l’immobilier était encore ébranlé par la crise financière de 2007-2009, Moghadam a conclu un accord pour fusionner AMB et Prologis, avec un total de 46 milliards de dollars d’actifs détenus et gérés. Depuis lors, la société d’investissement immobilier s’est développée dans le monde entier. En 2020, ses actifs s’élèvent à 125 milliards de dollars et sa superficie à 90 kilomètres carrés, soit un Manhattan et demi.
Tout ce qui a à voir avec la vitesse élevée, nous voulons le posséder. Aujourd'hui, tout est question de vitesse, pas de stockage», M. Moghadam, WSJ.
En 2017, les clients purement e-commerce représentaient environ 10% du portefeuille de Prologis. Mais c'est là que se situait la croissance. En plus des pure players, les détaillants traditionnels investissaient massivement dans la vente en ligne depuis des années. "Le e-commerce génère un volume de demande beaucoup plus important que ce que à quoi vous pourriez vous attendre dans un monde avec un PIB à 2% de croissance", notait Eric Frankel, analyste en immobilier industriel pour le chercheur Green Street Advisors en 2017.
Deux décennies plus tard, M. Moghadam, 66 ans, domine le secteur des entrepôts dans le monde. La société qu’il dirige, Prologis, est le plus grand bailleur d’Amazon et le plus grand fonds d’investissement américain dans la gestion d’entrepôts et de bâtiments logistiques. Sa capitalisation boursière était de $70,789b au 13 janvier 2021 (TradingView).
Avant le Covid, environ un 1/5ème des entrepôts construits par Prologis étaient destinés au commerce électronique, et le reste à d’autres formes de logistique. La part du e-commerce atteint aujourd’hui 40 %», selon M. Moghadam.
Nous avons réalisé pendant le 2ème trimestre que la demande d'espace augmentait beaucoup plus que prévu, parce que le e-commerce grandit beaucoup plus vite qu'avant la crise du Covid-19. Nous voyons 3, 4 ou 5 ans de croissance en un trimestre ou deux». H.M.
Réflexions finales
En 2019, Prologis a créé un fond ouvert, Prologis China Core Logistics Fund, de $1,7 milliard et annoncé son expansion en Chine avec un investissement de plus de $3,5 milliards. En 2020, le parc total de Prologis China atteint 5,1 millions de mètres carrés avec 41 centres logistiques dans 22 villes du pays.
Avec la pandémie, «des sociétés telles qu'Amazon et Walmart ont un appétit presque insatiable» pour plus d'espace d'entrepôt, a déclaré Hamid Moghadam dans une interview à Bloomberg en mai 2020
Nous ne voyons pas ces gars ralentir, ils continuent à être très actifs dans la conclusion de nouveaux accords. Les forts continuent de prendre beaucoup de place». H. Moghadam à Bloomberg.
Moghadam n'a pas été le seul à se rendre compte que l'humble hangar peut être un aussi bon investissement à l'ère du e-commerce que les pelles l'étaient pendant la ruée vers l'or. Son rival, Blackstone, a investi plus de $25 milliards en 2019 dans des entrepôts en Amérique et en Europe. Moghadam qualifie la logistique de «thème d'investissement mondial le plus convaincant». Une bataille pour les friches industrielles est en cours entre les deux géants.
Prologis et son concurrent Blackstone Group ont englouti des entrepôts au cours des dernières années. La lutte entre le roi des entrepôts et le baron du private equity ne façonnera pas seulement l'avenir du e-commerce mais également le paysage urbain», The Economist.
Cherchant à concurrencer Walmart pour les livraisons le jour même et pour faire face à la croissance de la demande post-Covid, Amazon ouvrira 1500 centres logistiques dans les villes et les banlieues des États-Unis pour livrer le jour même. Ce qui pourrait nuire aux affaires de Prologis.
La technologie pourrait également renverser la donne: si, par exemple, les drones, les camions électriques et sans conducteur rendent les coûts de transport négligeables; si l'impression 3D nous transforme tous en mini-fabricants. Mais pour l'instant, Prologis semble en sécurité sur son trône du dernier kilomètre.
En raison de l'impact du Covid sur la logistique, Prologis s'attend à s'éloigner de la stratégie Lean Supply Chain: les entreprises pourraient avoir 5 à 10% de stocks en plus à l'avenir. Cela pourrait doubler le taux de croissance de la demande d'installations logistiques, en plus du e-commerce, au cours des 5 à 10 prochaines années.
Sources: The Economist | CNBC | Green Street Advisors | Forbes | Money Talks | Bloomberg | YourStory | San Francisco Business Times
Hamid Moghadam a été interviewé par le podcast Money Talks de The Economist sur l'impact du commerce électronique sur la demande d'immobilier logistique le 2 juin 2020 (à partir de 10:10).